La Déclaration commune
MAFIA : Après un trop long déni, un début de solution ?
ABCDE, Cullittivu Massimu Susini, Le Garde, La Plateforme Citoyenne, Cullettivu Maffia Nò A Vita Iè, U Levante
Le 18 novembre dernier, l’Assemblée de Corse a voté, à l’unanimité, la résolution décrivant « les dérives mafieuses » comme un danger bien présent sur notre île.
Ce vote a, incontestablement, consacré la prise de conscience des élus corses de l’existence d’un phénomène criminel, déjà ancien, mais qui n’avait jamais suscité autant de résistance que depuis l’assassinat de Massimu Susini le 12 septembre 2019.
Ce vote a eu un retentissement très important en Corse, en France, et même en Europe.
La Corse était ainsi capable de faire face à ses démons. La mise en place des ateliers, qui s’en est suivie, visait à faire des propositions pour desserrer l’emprise mafieuse, laissant espérer l’implication de tous les acteurs invités à travailler ensemble.
Après plusieurs mois de travail, ayant réunis une partie des élus, différents acteurs associatifs et des intervenants extérieurs, nous, les représentants d’ABCDE, du Collectif A Maffia Nò A Vita Iè, du Cullittivu Massimu Susini, du Garde, de la Plateforme Citoyenne et du Levante, entendons aujourd’hui en dresser un premier bilan contrasté.
Malgré des dysfonctionnements manifestes ayant entravé le bon déroulement des ateliers dès leur mise en œuvre, nous avons tenu à poursuivre notre collaboration dans un esprit constructif.
Ces réunions ont été de valeurs inégales à plus d’un titre. Hormis les coordinateurs et les rapporteurs – principalement des élus de la majorité - trop peu d’élus de l’Assemblée de Corse ont pris la peine de participer aux échanges. Singulier décalage entre la prise de parole unanime des élus, en public, et leur manque d’implication, à huit-clos qui augure mal de leur engagement dans la suite des évènements. Ce retrait incompréhensible envoie un très mauvais signal à la société corse.
De plus, certains comptes-rendus, chapeautés par les coordinateurs, n’ont pas toujours reflété la richesse des questions qui ont été posées aux responsables politiques et aux intervenants invités. Une partie des coordinateurs a refusé d’engager les études thématiques de fond (déchets, PADDUC et ESA, marchés publics…) nécessaires à l’analyse de la réalité mafieuse et de ses mécanismes.
S’il est permis de douter, dans ces conditions, de la détermination d’une partie de nos élus, il est certain que la mafia œuvre dans l’ombre sur les grands dossiers qui arrivent à échéance dans l’hémicycle : la gestion et le traitement des déchets, le PADDUC (définition des ESA), les marchés publics …
Des éléments positifs méritent néanmoins d’être soulignés : des propositions courageuses et constructives ont été formulées par les participants à ces ateliers. Elles devraient être présentées à l’Assemblée de Corse prochainement. Des auditions d’un intérêt certain ont été menées, notamment ce mois-ci. Nous voulons y voir un signe fort : la confirmation que l’Assemblée de Corse, conformément aux attentes de la société corse, est à l’avant-garde de la lutte institutionnelle contre les « dérives mafieuses » en Europe.
Car ces trois dernières années, plusieurs choses ont changé. Grâce, en particulier, à l’action des collectifs antimafia et à l’ensemble d’un secteur associatif exemplaire. Les Corses ont pris conscience de la réalité de l’enracinement mafieux. La parole s’est en partie libérée. Les élus de l’Assemblée de Corse ont, enfin, reconnu officiellement l’existence de « dérives mafieuses ». Un rapport de la JIRS de Marseille analyse la réalité d’une mafia en Corse et réclame des moyens adaptés pour y faire face. Les députés Paul-André Colombani et Jean-Félix Acquaviva se sont faits les relais actifs de cette prise de conscience à l’Assemblée Nationale.
Après le rapport de la JIRS, qui analyse la réalité mafieuse corse et réclame des moyens pour y faire face, le SIRASCO liste 25 bandes criminelles qui sévissent en Corse. Soit 1 bande pour 13600 habitants. Ce même SIRASCO a, par ailleurs, produit une note en date du 26 avril 2023 pour alerter sur « Un marché des déchets infiltré par la criminalité organisée ».
Le 26 avril dernier, lors d’un séminaire européen sur le crime organisé, M. Dupont-Moretti a déclaré « faire de la lutte contre la criminalité organisée sa priorité …Le crime organisé est une menace pour tous nos Etats, nous ne pouvons plus fermer les yeux. »
Une directive européenne est en discussion à Bruxelles pour permettre la confiscation, sans condamnation, des profits du crime ;
Une réflexion est engagée pour un renforcement du dispositif d’aide aux repentis (dont le rapporteur est Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud) ;
Le Ministre de la Justice se rendra en Italie, « pour examiner dans quelle mesure nous pouvons nous inspirer d’un système qui y a fait ses preuves. ».
Que de chemin parcouru depuis le 12 septembre 2019.
Jusqu’ici, la mafia était niée au mépris même de toutes les évidences ; malgré l’engagement sans faille de plusieurs associations, qui n’ont cessé de combattre, sur le terrain, les tenants du système mafieux en Corse.
La mafia n’est ni un phénomène strictement italien, ni un phénomène corse. Elle est, aujourd’hui, un phénomène européen d’ampleur qui gangrène nos démocraties et menace d’en ébranler les fondements.
La dernière intervention de Paul-André Colombani à l’Assemblée Nationale, le 9 mai 2023 a concerné « l’essor vertigineux du crime organisé en Europe et de la mise en œuvre de trois mesures, également réclamées par les collectifs antimafia » :
- La nécessaire évolution du statut de repenti ;
- La confiscation systématique des avoirs criminels ;
- L’évolution législative inspirée des normes ayant déjà fait leurs preuves en Italie.
Si la Corse a été pionnière dans la résistance aux criminels mafieux, ce n’est pas un hasard. C’est parce qu’elle en souffre depuis des dizaines d’années. Mais qu’elle possède aussi des points de résistance hérités de son histoire et de sa culture Le point de rupture est advenu en septembre 2019, car la mafia s’était alors crue invulnérable. En sonnant la révolte, les Corses ont su démontrer qu’elle ne l’était pas.
Aujourd’hui, c’est toute l’Europe qui a identifié le danger et qui cherche des parades, suivant l’expérience italienne, dans ses succès et ses insuccès.
La Corse est à la pointe du combat contre la mafia en France. Elle a montré l’exemple, prouvé qu’il était possible de s’y opposer et nous constatons, aujourd’hui, que des responsables politiques s’expriment de plus en plus clairement sur ce péril mortel.
La Corse ne peut donc rester en arrière d’un mouvement qu’elle a initié. Bien entendu, l’État doit se mobiliser, avec les outils qui sont les siens, pour contrecarrer le projet mafieux en Corse.
Mais les élus, tous nos élus, doivent s’engager dans cette lutte et employer tous les moyens que leur donnent leurs prérogatives en matière de marchés publics, permis de construire, foncier, gestion et traitement des déchets, PADDUC …
Passée la période de la désignation du mal, nous devons désormais déterminer par quels moyens le combattre.
Certains sont, d’ores et déjà, entre les mains de la CDC : recours en justice contre les documents d’urbanisme qui contreviendraient aux dispositions du PADDUC (motion votée en Octobre 2019), définition des ESA selon les trois critères de la CDC, vote d’une gestion totalement publique du « marché des déchets », comme cela a été affirmé à plusieurs reprises, et non publique-privée, pour briser l’emprise mafieuse sur ce secteur.
D’autres restent à forger : création d’un comité de suivi de la consommation des ESA (recommandation du CESEC), mise en œuvre de Loi Sapin II et du pacte anti-corruption (proposition de Wanda Mastor), s’inspirer de la législation régissant le chantier Lyon-Turin pour éviter les infiltrations mafieuses dans les marchés publics, contrôle a priori de la structure et des actionnaires des sociétés soumissionnant dans les marchés publics et contrôle a posteriori de celles remportant ces mêmes marchés, déclaration des liens d’intérêts pouvant exister entre les élus et ces sociétés, déclaration de patrimoine des élus à leur entrée en fonction et à la fin de leur mandat… Les leviers efficaces sont multiples. Ces ateliers doivent permettre de les actionner : nous veillerons à ce qu’ils ne connaissent pas le sort qui a été réservé, en son temps, à la commission « violence » de l’Assemblée de Corse. Pour que tous les Corses puissent avoir foi en l’avenir.
ABCDE, Cullittivu Massimu Susini, Le Garde, La Plateforme Citoyenne, Cullettivu Maffia Nò A Vita Iè, U Levante
Le 18 novembre dernier, l’Assemblée de Corse a voté, à l’unanimité, la résolution décrivant « les dérives mafieuses » comme un danger bien présent sur notre île.
Ce vote a, incontestablement, consacré la prise de conscience des élus corses de l’existence d’un phénomène criminel, déjà ancien, mais qui n’avait jamais suscité autant de résistance que depuis l’assassinat de Massimu Susini le 12 septembre 2019.
Ce vote a eu un retentissement très important en Corse, en France, et même en Europe.
La Corse était ainsi capable de faire face à ses démons. La mise en place des ateliers, qui s’en est suivie, visait à faire des propositions pour desserrer l’emprise mafieuse, laissant espérer l’implication de tous les acteurs invités à travailler ensemble.
Après plusieurs mois de travail, ayant réunis une partie des élus, différents acteurs associatifs et des intervenants extérieurs, nous, les représentants d’ABCDE, du Collectif A Maffia Nò A Vita Iè, du Cullittivu Massimu Susini, du Garde, de la Plateforme Citoyenne et du Levante, entendons aujourd’hui en dresser un premier bilan contrasté.
Malgré des dysfonctionnements manifestes ayant entravé le bon déroulement des ateliers dès leur mise en œuvre, nous avons tenu à poursuivre notre collaboration dans un esprit constructif.
Ces réunions ont été de valeurs inégales à plus d’un titre. Hormis les coordinateurs et les rapporteurs – principalement des élus de la majorité - trop peu d’élus de l’Assemblée de Corse ont pris la peine de participer aux échanges. Singulier décalage entre la prise de parole unanime des élus, en public, et leur manque d’implication, à huit-clos qui augure mal de leur engagement dans la suite des évènements. Ce retrait incompréhensible envoie un très mauvais signal à la société corse.
De plus, certains comptes-rendus, chapeautés par les coordinateurs, n’ont pas toujours reflété la richesse des questions qui ont été posées aux responsables politiques et aux intervenants invités. Une partie des coordinateurs a refusé d’engager les études thématiques de fond (déchets, PADDUC et ESA, marchés publics…) nécessaires à l’analyse de la réalité mafieuse et de ses mécanismes.
S’il est permis de douter, dans ces conditions, de la détermination d’une partie de nos élus, il est certain que la mafia œuvre dans l’ombre sur les grands dossiers qui arrivent à échéance dans l’hémicycle : la gestion et le traitement des déchets, le PADDUC (définition des ESA), les marchés publics …
Des éléments positifs méritent néanmoins d’être soulignés : des propositions courageuses et constructives ont été formulées par les participants à ces ateliers. Elles devraient être présentées à l’Assemblée de Corse prochainement. Des auditions d’un intérêt certain ont été menées, notamment ce mois-ci. Nous voulons y voir un signe fort : la confirmation que l’Assemblée de Corse, conformément aux attentes de la société corse, est à l’avant-garde de la lutte institutionnelle contre les « dérives mafieuses » en Europe.
Car ces trois dernières années, plusieurs choses ont changé. Grâce, en particulier, à l’action des collectifs antimafia et à l’ensemble d’un secteur associatif exemplaire. Les Corses ont pris conscience de la réalité de l’enracinement mafieux. La parole s’est en partie libérée. Les élus de l’Assemblée de Corse ont, enfin, reconnu officiellement l’existence de « dérives mafieuses ». Un rapport de la JIRS de Marseille analyse la réalité d’une mafia en Corse et réclame des moyens adaptés pour y faire face. Les députés Paul-André Colombani et Jean-Félix Acquaviva se sont faits les relais actifs de cette prise de conscience à l’Assemblée Nationale.
Après le rapport de la JIRS, qui analyse la réalité mafieuse corse et réclame des moyens pour y faire face, le SIRASCO liste 25 bandes criminelles qui sévissent en Corse. Soit 1 bande pour 13600 habitants. Ce même SIRASCO a, par ailleurs, produit une note en date du 26 avril 2023 pour alerter sur « Un marché des déchets infiltré par la criminalité organisée ».
Le 26 avril dernier, lors d’un séminaire européen sur le crime organisé, M. Dupont-Moretti a déclaré « faire de la lutte contre la criminalité organisée sa priorité …Le crime organisé est une menace pour tous nos Etats, nous ne pouvons plus fermer les yeux. »
Une directive européenne est en discussion à Bruxelles pour permettre la confiscation, sans condamnation, des profits du crime ;
Une réflexion est engagée pour un renforcement du dispositif d’aide aux repentis (dont le rapporteur est Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud) ;
Le Ministre de la Justice se rendra en Italie, « pour examiner dans quelle mesure nous pouvons nous inspirer d’un système qui y a fait ses preuves. ».
Que de chemin parcouru depuis le 12 septembre 2019.
Jusqu’ici, la mafia était niée au mépris même de toutes les évidences ; malgré l’engagement sans faille de plusieurs associations, qui n’ont cessé de combattre, sur le terrain, les tenants du système mafieux en Corse.
La mafia n’est ni un phénomène strictement italien, ni un phénomène corse. Elle est, aujourd’hui, un phénomène européen d’ampleur qui gangrène nos démocraties et menace d’en ébranler les fondements.
La dernière intervention de Paul-André Colombani à l’Assemblée Nationale, le 9 mai 2023 a concerné « l’essor vertigineux du crime organisé en Europe et de la mise en œuvre de trois mesures, également réclamées par les collectifs antimafia » :
- La nécessaire évolution du statut de repenti ;
- La confiscation systématique des avoirs criminels ;
- L’évolution législative inspirée des normes ayant déjà fait leurs preuves en Italie.
Si la Corse a été pionnière dans la résistance aux criminels mafieux, ce n’est pas un hasard. C’est parce qu’elle en souffre depuis des dizaines d’années. Mais qu’elle possède aussi des points de résistance hérités de son histoire et de sa culture Le point de rupture est advenu en septembre 2019, car la mafia s’était alors crue invulnérable. En sonnant la révolte, les Corses ont su démontrer qu’elle ne l’était pas.
Aujourd’hui, c’est toute l’Europe qui a identifié le danger et qui cherche des parades, suivant l’expérience italienne, dans ses succès et ses insuccès.
La Corse est à la pointe du combat contre la mafia en France. Elle a montré l’exemple, prouvé qu’il était possible de s’y opposer et nous constatons, aujourd’hui, que des responsables politiques s’expriment de plus en plus clairement sur ce péril mortel.
La Corse ne peut donc rester en arrière d’un mouvement qu’elle a initié. Bien entendu, l’État doit se mobiliser, avec les outils qui sont les siens, pour contrecarrer le projet mafieux en Corse.
Mais les élus, tous nos élus, doivent s’engager dans cette lutte et employer tous les moyens que leur donnent leurs prérogatives en matière de marchés publics, permis de construire, foncier, gestion et traitement des déchets, PADDUC …
Passée la période de la désignation du mal, nous devons désormais déterminer par quels moyens le combattre.
Certains sont, d’ores et déjà, entre les mains de la CDC : recours en justice contre les documents d’urbanisme qui contreviendraient aux dispositions du PADDUC (motion votée en Octobre 2019), définition des ESA selon les trois critères de la CDC, vote d’une gestion totalement publique du « marché des déchets », comme cela a été affirmé à plusieurs reprises, et non publique-privée, pour briser l’emprise mafieuse sur ce secteur.
D’autres restent à forger : création d’un comité de suivi de la consommation des ESA (recommandation du CESEC), mise en œuvre de Loi Sapin II et du pacte anti-corruption (proposition de Wanda Mastor), s’inspirer de la législation régissant le chantier Lyon-Turin pour éviter les infiltrations mafieuses dans les marchés publics, contrôle a priori de la structure et des actionnaires des sociétés soumissionnant dans les marchés publics et contrôle a posteriori de celles remportant ces mêmes marchés, déclaration des liens d’intérêts pouvant exister entre les élus et ces sociétés, déclaration de patrimoine des élus à leur entrée en fonction et à la fin de leur mandat… Les leviers efficaces sont multiples. Ces ateliers doivent permettre de les actionner : nous veillerons à ce qu’ils ne connaissent pas le sort qui a été réservé, en son temps, à la commission « violence » de l’Assemblée de Corse. Pour que tous les Corses puissent avoir foi en l’avenir.